L'Europe a échoué, mais l'Ukraine pourrait encore la sauver
- Phillips O'Brien
- 25 avr.
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Elle lui a offert les plus précieux des présents : du temps et de l'expérience
Par Phillips O'Brien, publication Substack, 25 avril 2025
Une brève réflexion sur ce que les Européens doivent à l'Ukraine. Quand viendra le moment, dans plusieurs décennies, d'écrire l'histoire de cette époque, je parie qu'on dira souvent que les sacrifices consentis par l'Ukraine ces dernières années auront été parmi les plus importants de l'histoire européenne. Sans ces sacrifices, tout le projet européen aurait pu être ruiné, mais grâce à ce que l'Ukraine et les Ukrainiens ont été prêts à faire et à endurer, l'Europe a encore une chance.
Nous devons commencer par un constat fondamental. Les décideurs politiques européens ont échoué. Cela fait maintenant exactement 38 mois que les Russes ont lancé leur invasion à grande échelle, le 24 février 2022, soit environ 1 150 jours dont les décideurs politiques européens ont disposé pour planifier et réagir. Malheureusement, ils ont été plus doués pour prononcer des discours que pour prendre les mesures nécessaires à la protection des Européens.
Si la rhétorique avait suffi, l'Europe serait en pleine forme. Au moment de l'invasion à grande échelle, on parlait beaucoup de la fin d'une époque et de la nécessité pour l'Europe de changer (vous vous souvenez du « Zeitenwende » [« changement d’ère » proclamé par le chancelier Scholz] ?). Depuis lors, les discours se sont succédé, le président Macron jouant un rôle clé, les dirigeants européens affirmant qu'ils devaient soutenir l'Ukraine, qu'ils devaient faire plus pour se protéger, etc.
Mais au final, les décideurs politiques européens ont fait relativement peu. Ils se sont surtout contentés d'attendre et de réagir. Même si une victoire de l'Ukraine était tout à fait dans l'intérêt des États européens, ils ont laissé l'administration Biden dominer leur politique à l'égard de l'Ukraine et mettre en place sa désastreuse stratégie consistant à s'incliner devant les menaces russes et à essayer de microgérer la guerre. Entre 2022 et 2024, les dépenses européennes en matière de défense sont restées à des niveaux bien trop bas pour permettre au continent de se défendre. En 2024, les dépenses moyennes de l'Europe en matière de défense s'élevaient à 1,9 % du PIB, ce qui montre que la plupart des pays du continent étaient encore en deçà des objectifs fixés par l'OTAN plusieurs décennies auparavant.
Ce n'était que le début. Même si le retour à la Maison Blanche de Donald Trump, ouvertement pro-Poutine, avait une probabilité d’au moins 50 % pendant la majeure partie de l'année 2024, les États européens ont refusé d'accepter la réalité qui leur sautait aux yeux. Ils ont soit nié que cela puisse arriver, soit se sont réconfortés avec des contes absurdes selon lesquels Trump ne serait pas si mal que ça, voire, plus ridicule encore, qu'ils pourraient le convaincre grâce à leur charme suave.
Lorsque Trump a été élu président, qu'il a pris ses fonctions et qu'il a fait exactement ce qu'il avait dit, à savoir aligner les États-Unis sur Poutine et mettre fin au soutien américain à l'Ukraine, la réponse européenne est restée confuse et faible. On a parlé de construire des ponts avec Washington, de parties de golf, de tapes dans le dos et de nombreuses louanges dans l'espoir d'apaiser Trump. Il est étonnant d'avoir assisté à un tel déni, alors qu'il existait des exemples clairs montrant que résister à Trump, comme l'a fait par exemple le Canada, était toujours la meilleure façon de traiter avec lui.
L'un des problèmes ici est que de nombreux États européens semblent s'en remettre aux lobbyistes de Washington liés au mouvement MAGA pour obtenir des conseils. On leur dit d'être des petits garçons dociles, de faire de la lèche à Trump, d'essayer d'obtenir des miettes, car c'est ce que les acolytes du mouvement MAGA doivent faire pour réussir. L'incapacité des États européens à penser par eux-mêmes a été jusqu'à présent l'un des grands problèmes.
Certes, certaines mesures de réarmement ont été prises, mais elles ont été lentes, limitées et insuffisantes. Ce qui a fait défaut, c'est une planification sérieuse de la marche à suivre dans la situation précise dans laquelle se trouvent actuellement les États européens, confrontés à la perspective que les États-Unis abandonnent non seulement l'Ukraine, mais se rapprochent également de Poutine.
Selon toute logique, cet échec politique aurait dû paralyser l'Europe. Cependant, étonnamment, les États européens ont encore une chance de redresser la situation, de se remettre du désastre qu'ils ont eux-mêmes provoqué et de se préparer pour l'avenir avec un certain espoir de rédemption stratégique. Ils ne doivent cette chance qu'au sacrifice et à la volonté de se battre des Ukrainiens. L'Ukraine a offert à l'Europe le cadeau le plus précieux qui soit : du temps.
Ce cadeau se présente sous deux formes. Premièrement, en détruisant une grande partie de l'armée russe, l'Ukraine a donné à l'Europe le temps de se préparer à une éventuelle guerre future. Même si un cessez-le-feu était conclu demain, il faudrait encore au moins cinq ans pour que l'armée russe redevienne une menace crédible. Elle a perdu presque tous ses véhicules, perdu un million de soldats, vu sa marine lourdement endommagée et perdu de nombreux avions de grande valeur. D'une certaine manière, il s'agit d'une force qui devra être reconstruite à partir de zéro et, à l'heure actuelle, les Russes n'ont pas la capacité de production nécessaire pour remplacer ce qu'ils ont perdu (même si les Chinois pourraient leur fournir une grande partie de cet équipement s'ils le souhaitaient).
De plus, l'Ukraine a offert à l'Europe le deuxième cadeau le plus précieux qui soit pour accompagner ce temps vital : l'expérience.
En apprenant de l'Ukraine, les États européens ont la possibilité de reconstruire leurs propres armées avec l'aide de la force de combat la plus expérimentée du continent, voire du monde, une armée qui comprend comment les drones, les drones maritimes, les missiles à longue portée, etc. ont modifié l'expérience et les possibilités du combat. Si les États européens se contentaient de reconstruire leurs armées selon leurs anciens modèles, avec beaucoup de chars, etc., en recréant les armées qui ont combattu avant 2022, une grande partie de leurs efforts serait gaspillée dans la construction d'équipements inadaptés et en quantités insuffisantes. L'Europe peut tirer parti de l'expérience de l'Ukraine pour s'assurer qu'elle est prête à affronter ce qu'une Russie reconstruite pourrait réellement faire, et non ce que la communauté des analystes, qui a failli, a supposé qu'elle pourrait faire.
L'Europe pourrait ne pas être capable de se sauver elle-même. L'alignement des États-Unis sur la Russie et la Chine pourrait signer l'arrêt de mort de la démocratie libérale, à moins que les Européens ne soient prêts à se battre pour elle et que les dirigeants européens soient déterminés à s'y préparer. Cependant, le fait que l'Europe ait encore cette chance, qu'elle ait encore le temps et qu'elle puisse se préparer en s'appuyant sur une expérience pertinente, est dû aux sacrifices des Ukrainiens. Nous leur devons une gratitude de dimension historique.
Et leur offrande pourrait même donner aux États-Unis une chance de se sauver eux-mêmes, au bout du compte.